L’univers
est-il fini ou infini ? Le modèle aristotélico-ptoléméen le voyait fini
(et géocentrique). Giordano Bruno, dès le XVIème siècle, le considère infini et
fait envisager à Pascal en quoi consiste la misère de l’homme privé de
point de repère. On retrouve, sous d’autres formes, bien sûr, ces deux
conceptions dans la cosmologie contemporaine.
Il ne s’agit pas tant de savoir si l’univers est
spatialement infini (par exemple indéfiniment expansible),mais plutôt de savoir
si notre univers est unique ou s’il n’est qu’un parmi une infinité d’autres
(possibles ou réels)..
La question de l’infinité spatiale
de l’univers est simplement dépourvue de sens puisque nous n’avons pas le moyen
d’y répondre. En effet, l’univers que nous pouvons observer a forcément un
horizon au-delà duquel il est impossible de regarder. Monté sur le sommet de la
tour Eiffel mon regard s’arrête à l’horizon et cet horizon n’est pas le même
pour celui qui monte au sommet de l’Empire State Building ou au sommet de
l’Everest. Cet horizon définit une limite : celle où aucun signal, du fait
de la vitesse de la lumière ou du fait de l’expansion de l’univers, ne peut
être reçu. L’univers qui s’étend au-delà est-il fini ou infini ? La
question n’a pas de réponse. Donc pas de sens.
La vraie question est de savoir s'il est temporellement
infini : a-t-il eu un commencement (big-bang) ou n’est-il que la
nouvelle version d’un univers plus ancien qui, lui-même, etc.
I. La théorie des cordes
1. Pourquoi une théorie des cordes ?
Pour tenter de réaliser l’unification
des quatre interactions. Trois d’entre elles (la forte, la faible et
l’électromagnétique) sont explorées par le modèle standard de la mécanique
quantique, la quatrième (la gravitationnelle) est expliquée par la Relativité
générale. Pour unifier ces deux théories, il faudrait réussir à quantifier
la Relativité : trouver le messager de la gravitation (comme on a
trouvé les messagers de l’interaction forte : les gluons, de
l’interaction faible : les bosons intermédiaires w+, w-, z et ceux de
l’interaction électromagnétique : les photons) : le graviton
(corde d’amplitude d’onde = 0, de masse = 0 et de spin = 2).
On remarque qu’une des
difficultés de la mécanique quantique, c’est l’obligation d’appliquer la
quantification perturbative. C’est que la description d’un système
quantique (un atome, par exemple), dès qu’on dépasse le niveau le plus simple
(l’atome d’hydrogène, la particule dans une boite et l’oscillateur harmonique
quantique) est si complexe qu’on doit la simplifier au moyen de schémas
d’approximation.
En raison de l’équivalence masse/énergie (E = mc²) et en raison de la
masse infime des particules, l’énergie déployée dans les interactions a pour
conséquence la création de nouvelles particules dont le nombre peut être
supérieur après l’interaction par rapport à ce qu’il était avant. Les
mécanismes qui aboutissent à ce surcroît de particules sont difficiles à mettre en évidence. Qu’y a t’il dans la boite
noire de l’interaction pour qu’on passe de
n à m > n particules ?
Outre le fait que les prédictions
de la mécanique quantique sont nécessairement probabilistes, la difficulté est
qu’il faut combiner toutes les probabilités concernant les particules qui vont
disparaître, celles qui vont apparaître en sortie mais aussi celles qui sont
apparues et disparues dans le processus intermédiaire. Or, on est conduit à
l’infini.
On est alors amené à utiliser une
technique de renormalisation.
On part des systèmes dont on
connaît la solution exacte comme première approximation des solutions
pour des systèmes plus complexes. On utilise alors les diagrammes de Feynman.
Cette méthode de la quantification perturbative fonctionne bien au
niveau des trois interactions étudiées par la mécanique quantique, mais elle ne
fonctionne pas pour la gravité. Pour cette dernière, les diagrammes de Feynman
valent toujours l’infini (les intégrales divergent). Dans la théorie des cordes, les vertex (points
d’intersection), ne sont plus des points, mais des surfaces
bi dimensionnelles. Et le diagramme ne vaut plus l’infini).
(La théorie quantique à boucles préconisera plutôt
le renoncement à la quantification perturbative).
Unifier ces quatre interactions suppose donc l’élaboration d’une théorie
1) capable de rendre compte de toutes les particules élémentaires (quark,
leptons) et messagères (bosons) ainsi que du boson de Higgs, 2) d’une théorie
qui soit géométrique pour englober la théorie einsteinienne de la gravitation,
3) et qui, enfin, décrive la gravitation sans divergence des équations (sans
qu’elles conduisent à l’infini).
b. Naissance de la théorie des cordes
Le point de départ c’est la
découverte par Veneziano en 1968, d’une formule vieille de deux siècles ( la fonction
bêta d’Euler, une intégrale) qui semble pouvoir décrire la réaction de
diffusion d’une interaction forte entre hadrons. On a généralisé et analysé le
contenu en particules (combien de particules à une masse créée donnée, quel est
leur spin, etc.) fourni par la formule et on s’est rendu compte que le spectre
de particules qu’on obtenait était celui d’une corde vibrante.
On compare l’action d’une
particule (sa ligne d’univers) sur une longueur donnée à l’action
d’une corde (sa surface d’univers) sur une même longueur. L’équation
obtenue pour la seconde est celle d’une corde vibrante.
Trois problèmes toutefois (la nécessité de 26 dimensions, la présence
de tachyons, une particule qui, si elle existait, se déplacerait à une
vitesse supraluminique et l’absence de spin ½) dans les résultats de la
formule.
Pour rajouter les spin ½ on les rajoute sur la corde et,
selon qu’on a un nombre pair ou impair, on obtient un boson (spin entier) ou un
fermion (spin ½). Et cela fonctionne à partir du moment où on admet une supersymétrie
à deux dimensions (qui mélange les degrés de liberté fermioniques et
bosoniques) et une supersymétrie à 10 dimensions entre bosons et fermions. On
passe de 26 à 10 dimensions. Les tachyons disparaissent et le spin ½ est pris
en compte.
On n’est plus dans la description « originelle »
des interactions fortes (de la formule de Veneziano) dont la chromodynamique
quantique rend d’ailleurs un meilleur compte. En revanche, le spectre de
particules issu de la nouvelle formule fait apparaître (sur la ligne des masses
nulles) non seulement le spin entier (des bosons), le spin ½ (des fermions)
mais encore le spin 2 qui devrait être celui du graviton. Enfin, pas
besoin de renormalisation, les équations des intégrales ont toujours
des valeurs finies (y compris donc pour la gravitation !)
La théorie des supercordes doit donc être considérée comme
une théorie de grande unification (ou théorie de tout).
En premier lieu, il faut donc compactifier les 6
dimensions supplémentaires (voir plus bas).
En second lieu, la théorie des cordes suppose la supersymétrie
(puisque les modes vibratoires vont par paires) c’est-à-dire le
doublement du nombre des particules élémentaires, chacune d’elles se voyant
associé un superpartenaire (pour les bosons, de spin entier, un fermion de spin
1/2 et pour les fermions, de spin ½, un boson de spin entier = 0) de masse bien
supérieure à la masse de la particule associée. On espère pouvoir observer ces
« nouvelles » particules au LHC du CERN. On n’y est pas encore
parvenu, soit parce qu’elles n’existent pas soit parce que leur masse,
supérieure à celles de leurs partenaires, est un peu trop grande pour la
puissance actuelle de l’accélérateur. Ces super-particules, plus massives donc,
rendraient compte, avec le boson de Higgs (dont la masse est trop faible pour
suffire), de la masse des particules jusque là observées, apportant un
supplément de masse.
En troisième lieu, ces super particules garantiraient la même puissance
pour les interactions forte, faible et électromagnétique à des énergies très
élevées, conformes à celles qui règnent dans l’univers primordial.
c. Cordes et particules
D’abord, les cordes sont considérablement plus petites que
les particules les plus petites constitutives de l’atome (10-33 cm).
Ce sont les éléments proprement dits de l’univers.
En second lieu, les cordes vibrent et chaque mode vibratoire correspond
à un type de particule. Elles peuvent s’ajouter les unes aux autres ou se
diviser, ce qui correspond à l’absorption ou à l’émission d’une particule.
Le problème, c’est que pour éviter les anomalies
qui rendent la théorie inconsistante au niveau quantique, il faut supposer des dimensions
supplémentaires de l’espace-temps. Il faut 10 dimensions. Les 6 dimensions
supplémentaires d’espace sont très petites et repliées sur elles-mêmes (ce qui
explique leur invisibilité). On considère que ces dimensions supplémentaires
sont compactes (elles se seraient compactifiées peu après le big-bang,
les autres s’étant étendues de façon exponentielle) c’est-à-dire qu’en chaque
point de l’espace-temps, il existe un tout petit espace interne à 6 dimensions.
On peut en donner une image en se représentant un robot se déplaçant dans les 3
dimensions habituelles mais dont la main articulée peut se déplacer selon 10 degrés de liberté au moins :
gauche-droite, haut-bas, avant-arrière, inclinaison, rotation, etc. Autant de
dimensions logées en un « point » (poing !) de l’espace à 3
dimensions où il se trouve. C’est en ce sens qu’une corde qui présente 10
degrés de liberté de spin, présente 10 dimensions. Mathématiquement, ces dimensions
correspondent aux espaces de Calabi-Yau. Or il existe dans ce cas, à basse
énergie, jusqu’à 10100 ou 10500 théories des cordes
possibles, selon qu’on choisit un espace de Calabi-Yau ou un autre.
(deux exemples d’espace de Calabi-Yau)
Comment alors tester les 10100 ou 500 prédictions
correspondant à un seul et même phénomène ? La « réponse »,
c’est le multivers.
2. Le multivers
a. Ce n’est pas une théorie, c’est une
extrapolation cohérente. Une conséquence de la théorie des cordes (entre
autres). Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas scientifique. Au contraire,
comme conséquence d’une théorie (de celle des cordes ou de celles de
l’inflation), elle est à considérer jusqu’à la preuve que la théorie qui la
sous-tend n’est pas correcte.
Au départ, il y a l’idée que l’univers réel est
plus grand que l’univers observable (à l’opposé de la théorie des univers
chiffonnés de Luminet). Il y a un cône de lumière (voir plus haut) à
l’intérieur duquel nous pouvons observer presque tout le passé de l’univers
« observable » (tout ce qui, dans la ligne d’univers de cet univers
est du genre temps). Sur quoi on sait tout de même pas mal de
choses : il a un diamètre de 100 milliards d'années lumière, comporte quelque 100
milliards de galaxies, a une densité de 5.10-27 kg/m3 et
contient 5.1080 atomes. Mais il y a un extérieur du cône (ce
qui est du genre espace) auquel nous n’avons pas accès.
Remarque 1: il n’est pas impossible de
penser que nous puissions accéder à l’observation directe de
l’univers antérieur à l’univers visible (le fond diffus cosmologique
qui, déjà, en tant que trace de ce qui l’a précédé et rendu possible,
nous permet indirectement d’avoir connaissance de moments antérieurs) à
partir des ondes gravitationnelles qui, à la différence des photons,
n’interagissent pas avec la matière et n’ont pas « besoin »
d’attendre un certain état de celle-ci pour se propager.
Remarque 2 : d’un autre côté, notre univers observable
diminue de jour en jour. L’accélération de l’expansion envoie des galaxies hors
du cône, de sorte que le nombre des galaxies observables est en continuelle
diminution.
b. L’univers observable est grand. Mais cela
ne va pas de soi. En effet, en mécanique quantique, on apprend que le vide a
une énergie. En vertu de E = mc², cette énergie se comporte comme une masse et
courbe donc, selon la relativité générale, l’espace-temps. Le problème, c’est
que, tenant compte d’un niveau d’énergie comme, par exemple, celle de
l’électron, Pauli calcule que l’univers d’Einstein ne devrait pas avoir un
rayon de plus de 31 km ! Et d’autant plus petit qu’on augmente le niveau
d’énergie de référence.
En fait, la question est : pourquoi l’univers
observable dans lequel nous sommes est-il tel qu’il est ? Si on jouait à
faire varier les constantes (qui sont des données propres à ce
monde, indépendantes des théories qui le décrivent), on obtiendrait des mondes
entièrement différents : mondes sans atomes, mondes de neutrons, etc.
c. L’univers contient de grands objets. Etoiles, galaxies, amas, etc. Comment expliquer cela ? Parce que
la force de gravitation (10-33 cm, échelle de Planck donc, liée à la
gravitation) est très faible devant la force électromagnétique(10-17
cm, échelle électrofaible, liée à la masse des particules).
d. Revenons à la théorie des cordes. L’univers vient
du vide (qui a une énergie, celle du nôtre pourrait être définie par la constante
cosmologique). On pourrait donc concevoir 10100 à 10500
bulles de vide dont chacune correspond à des valeurs différentes des constantes
fondamentales. Si on pouvait modéliser l’ensemble de ces univers, on pourrait
vérifier que l’un d’entre eux correspond exactement au nôtre. S’il s’avérait
qu’il n’y en ait aucun, c’est toute la théorie qui s’effondrerait.
On peut aussi, à défaut d’explorer tous les modèles,
chercher quelle est la valeur la plus probable de L (Lambda, la constante cosmologique) pour obtenir un univers semblable
au nôtre qui soit aussi observable, donc un univers qui ait le temps de se
structurer en autant de galaxies et qui dure suffisamment longtemps pour que
des observateurs puissent le regarder. Weinberg, en 1974, a mesuré qu’on devait
avoir quelque chose compris entre 0.1 et 1 fois la valeur L critique (valeur observée aujourd’hui de la
constante cosmologique).
Ainsi, la réponse de la théorie des cordes à la question
des 10100ou500 théories possibles, c’est le multivers. Il doit
exister en parallèle une multitude d’univers obéissant à des lois différentes,
s’appuyant sur des constantes différentes. Chacun dans son espace de Calabi-Yau.
Disons que c’est de deux choses l’une : ou bien chaque théorie (dans
son espace propre) décrit un univers réel encore qu’inaccessible (le nôtre
excepté), ou bien de tous les univers possibles ainsi décrits, un seul
est réel, le nôtre, tout le problème étant de trouver quelle théorie en rend
compte. Ou bien, on l’a vu, si aucun des univers décrits par ces théories ne
correspond au nôtre, il faut abandonner la théorie des cordes.
Remarque :
Les supercordes
On ne distingue plus semble t-il la théorie des cordes de
celle des supercordes. Simplement, on appelle théorie des supercordes la
première qu’on a rendu relativiste (c’est-à-dire qu’elle répond aux exigences
d’invariance des transformations de Lorentz) et à laquelle on a ajouté
la supersymétrie.
On compte cinq théories des supercordes (la théorie de type I
pour laquelle il y a des cordes ouvertes et des cordes fermées,
les autres fonctionnant exclusivement avec des cordes fermées) toutes
unifiables dans la Théorie M (à 11 dimensions) mise en œuvre par Edward
Witten en 1990.
Les différentes théories sont symétriques par rapport à la
constante de couplage. Il y a donc des dualités. Par constante de
couplage on entend une mesure : la mesure de la facilité ou de
la difficulté pour une corde de se briser ou de s’unir à une autre. Deux
théories sont duales par rapport à cette constante de couplage lorsque
la physique décrite par une théorie, par exemple celle de la théorie de type I
à forte constante de couplage est
identique à la physique décrite par la théorie hétérotique 0 lorsqu’elle
considère une faible constante de couplage. La théorie IIA est duale avec la
théorie hétérotique E.
Selon cette théorie, les cordes coexistent avec des branes
(des membranes qui sont des cordes étirées dans une seconde dimension). Une
particule est un 0-brane (un objet de dimension 0), une corde est un 1-brane
(un objet de dimension 1, avec une
constante de couplage faible),
une surface, une membrane, est un 2-brane (un objet à 2 dimensions,
constante de couplage plus forte), etc. Un 3-brane, par exemple, est une
surface dans l’espace-temps (2-brane étiré dans une troisième dimension,
constante de couplage encore plus forte). Mais, enroulée, elle peut devenir un tore (donc un 2-brane) ou, enroulée très
serrée, une sorte de corde (donc un 1-brane).
3. Théorie des cordes et big-bang
Le modèle standard de la cosmologie fait naître
(théoriquement, puisque le mur de Planck nous empêche d’accéder à cette
« origine ») l’univers d’une singularité originelle de densité
infinie et de volume nul.
La théorie des cordes exclut cette hypothèse. Les cordes
non enroulées (origine du photon, de l’électron, du graviton) ont une énergie
(ou une masse) quasi nulle (voire nulle : photon, graviton) puisque
compensée par les fluctuations du vide quantique. Les cordes enroulées, en
revanche, ont une énergie (une masse) proportionnelle au rayon du
« cylindre » d’espace dans lequel elles s’enroulent. Or, il y a une
longueur (circonférence) minimale pour une corde : 10-34 m. Il n’y a donc pas de
singularité originelle (de volume nul).
Soit une corde enroulée autour d’un cylindre dont le rayon
est par exemple 10 fois la longueur de Planck (qu’on notera 1). Quelle est son
énergie ? D’abord son énergie d’enroulement (nombre d’enroulements
x rayon du cylindre) = 1 x 10 = 10. Son
énergie de glissement (inversement proportionnelle au rayon puisque plus
le rayon est petit, plus la corde est confinée, plus elle s’agite, plus donc
son énergie de glissement est grande. On suppose qu’elle glisse une fois) = 1
x 1/10 = 0,1. Au total : 10 + 0,1
= 10,1.
Rétrécissons le rayon du cylindre à 1/10ème de
la longueur de Planck (contractons l’univers, conformément à l’hypothèse qui
conduit à la singularité). Son énergie d’enroulement sera = 1 x 1/10 = 0,1 et
son énergie de glissement = 1 x 0,1 = 10. Au total : 0,1 + 10 =
10,1.
Ainsi, un univers cylindre de petit rayon correspond à univers cylindre
de grand rayon ! Cela veut dire que lorsque l’univers rétrécit
jusqu’à la longueur de Planck, il s’échauffe, certes, mais ensuite se refroidit
et se dilate. Il rebondit de la longueur de Planck. Il n’a donc
pas de « point » originel auquel nous puissions remonter, pas de
température infinie, pas de densité infinie. Avant de se dilater, il a fallu
que l’univers se contracte jusqu’à une dimension limite de 10-34 m.
Les univers-bulle
On a vu comment la théorie des cordes conduisait à
concevoir une multitude d’univers possibles. Cela
signifie-t-il qu’on peut les concevoir comme des possibilités dont une seule
s’est réalisée (le modèle de Leibniz : Dieu conçoit une infinité d’univers
possibles et choisit de réaliser seulement le meilleur), ou bien, ces univers
ou certains d’entre eux existent-ils parallèlement et ce, depuis
« l’origine », ou bien encore, des univers se créent-ils à tout
instant ?
Cette dernière hypothèse est celle des univers-bulles
de Linde. Parallèles les uns aux autres ou même enchâssés les uns dans les
autres, ces univers n’auraient aucun contact les uns avec les autres et
obéiraient chacun à des lois spécifiques. C’est le modèle dit de l’inflation
chaotique.
Le modèle de l’inflation lui-même conduit à penser à la
production non pas d’un mais de multiples univers.
Comment se forment ces bulles ? L’hypothèse
est que l’univers résulte du vide, plus précisément d’une fluctuation du
vide.
La brisure de symétrie, comme celle qui est par exemple à l’origine du
champ de Higgs, peut générer des défauts. Considérons, par exemple, une
table dressée pour une cinquantaine d’invités. Une serviette de table est
déposée à côté de chaque assiette. Sur un côté de la table un invité prend la
serviette placée à droite de son assiette. Déjà, la symétrie est brisée
(il manque une serviette sur la table). Placé trop loin
pour imiter (comme ses voisins immédiats) son geste, un invité prend la
serviette de gauche, imité par ses propres voisins. A la fin, on assiste à un défaut
de symétrie : un des convives aura deux serviettes, un autre aucune.
Un peu partout dans l’univers de tels défauts ont
dû se produire lorsque s’il s’est refroidi. Le vide n’a pas partout le même
niveau d’énergie. Ces défauts, ce sont les cordes cosmiques. Ce sont des
défauts de 10-32 m. L’énergie de ces cordes est très localisée,
donc, mais aussi très grande (10 milliards de milliards de tonnes par mètre).
Elles se déplacent à la vitesse de la lumière (c’est que la tension de
la corde est si intense qu’elle annule l’effet de l’énergie de sorte qu’elle se
comporte comme un objet de masse nulle).
Le champ de Higgs prend donc des valeurs différentes en
différentes domaines. Ceux-ci augmentent jusqu’à se rencontrer. Aux points de
rencontre, des défauts apparaissent puisque ces domaines ne peuvent
fusionner à cause de leurs valeurs différentes. En ces points apparaissent de faux
vides. Ce seront des cordes cosmiques, on l’a vu ( la jonction des
domaines se faisant selon une ligne) ou des monopôles (quand la jonction
se fait en un point).
Les bulles d’univers ne sont pas issues des défauts,
mais au contraire des champs de vide dans lesquels la matière a pu s’organiser.
La pression dans ces bulles est positive (alors qu’elle est négative dans le
faux vide). Ces bulles ont donc pu s’expanser. Chaque création de bulle est un
big-bang.
II. La théorie de la gravitation quantique à boucles
1. Compléter la physique élémentaire
L’objectif est moins celui de l’unification de la mécanique quantique qui étudie les trois interactions
forte, faible et électromagnétique, et de la relativité générale qui rend
compte de la gravitation, que de completer la description quantique des quatre interactions en décrivant l’aspect quantique de la
gravitation.
Or, l’application des équations
du modèle standard aux phénomènes gravitationnels conduit celles-ci à l’infini.
Les intégrales divergent.
A plus longue échéance, le projet est tout de même assez semblable à celui de la théorie des cordes, mais alors que la théorie des cordes essaie d’unifier les 4
interactions du point de vue des particules, la théorie quantique à
boucles tente cette unification du point de vue de l’espace.
2. Quantifier l’espace-temps lui-même.
Les propriétés quantiques du champ gravitationnel sont les
propriétés quantiques de l’espace-temps lui-même. Les fluctuations de
l’espace-temps doivent augmenter à mesure que l’échelle diminue (qu’on se
rapproche des conditions de l’univers primordial). Le continuum spatio-temporel
cesse d’être continu à l’échelle de Planck (10-33 cm),
l’espace-temps devient discret, admet une structure granulaire
(quantique). Il doit y avoir des quanta d’espace-temps, des superpositions
de géométries différentes.
De même que la quantification des états d’un atome prescrit
un niveau minimum d’énergie pour un électron (n = 1) qui empêche celui-ci de s’effondrer
sur le noyau, de même il se pourrait qu’il existe un volume minimum d’espace
qui empêche que l’espace s’effondre en singularité (dans le trou noir ou le
big-bang).
On sait qu’en mécanique quantique, un point dans l’espace
des phases (un espace qui permet l’interprétation géométrique du mouvement
d’un système mécanique) représente non une position mais (principe de
superposition) un ensemble de positions-impulsions possibles pour des particules
en mouvement sous l’action de forces. De la même manière, un point dans
l’espace des phases du champ de gravitation représente un état possible de
la géométrie de l’espace-temps courbé par la présence de la matière, de
l’énergie ou du rayonnement. En un point, plusieurs géométries possibles coexistent, se superposent.
Ce dont il s’agit, ici, c’est de la configuration de l’espace-temps.
Disons-le autrement, au fur et à mesure que le
nombre quantique définissant les orbites des électrons autour du noyau
augmente, les différences de niveau énergétique d’une orbite à l’autre
décroissent, la distance des orbites diminue et le spectre discret tend vers le
continu.
Sur ce modèle, l’espace-temps,
qui est continu à l’échelle ordinaire et cosmologique, pourrait être discontinu
aux échelles quantiques. Granulaire.
Il y aurait donc une taille
minimum des quanta d’espace (de surface, de volume), ce qui lève la
difficulté des infinis pour les équations.
a. Soit un volume en cube,
par exemple. Selon la physique classique, ce volume peut prendre une infinité
de valeurs. Toutefois, si l’espace est quantifié, il ne peut prendre que des
valeurs précises (comme les niveaux d’énergie dans l’atome) et a une valeur
minimale non nulle : celle d’un cube ayant pour côté la longueur de Planck
soit : 10-105 m3. Idem pour les surfaces :
celle d’une sphère a une valeur minimum (10-70 m²) et ne peut
prendre, au-delà, que des valeurs discrètes. Ni volume ni surface nuls, ni
volume ni surface infinis. La plus petite aire possible est le carré de la
longueur de Planck, le plus petit volume, le cube de cette longueur.
Il faut faire appel à des diagrammes
pour formaliser cet espace.
Exemple : prenons un cube. Dans le diagramme, ce sera 1
point d’où partent 6 lignes (représentant les surfaces).
On pose une pyramide sur le cube.
Une deuxième :
etc.
Chaque état quantique est
caractérisé par un graphe. Attention ! Il ne faut pas voir ces points et
ces lignes comme localisés dans l’espace. Ils sont l’espace
lui-même et la façon dont ils sont connectés définit la géométrie de cet
espace.
Ces graphes sont nommés réseaux
de spin (encore qu’ici il n’y a rien qui concerne le spin puisqu’il est
question de l’espace-temps et non de particules). Ce ne sont pas davantage des
diagrammes de Feynman, encore qu’ils puissent y ressembler. Ces derniers
décrivent les interactions entre des particules dont il n’est pas ici question.
Ces réseaux décrivent la géométrie de l’espace.
b. Mais cet espace est
géométriquement déterminé par la matière et l’énergie qu’il contient
(gravitation). Il faut donc aussi représenter les particules et les champs. Les premières sont représentées par
certains types de nœuds auxquels ont accole une étiquette nommant leurs
propriétés et leurs attributs.. Les champs, par des étiquettes accrochées aux
lignes. Le mouvement des particules et des champs est représenté par le
déplacement par sauts des étiquettes. Les ondes gravitationnelles sont
représentées, à leur tour, par des déformations des graphes.
Le but est de calculer les probabilités quantiques de chaque saut
permis sur le réseau de spins.
L’espace-temps devient alors une mousse de spin
dont chaque réseau de spin est une tranche. Attention ! La découpe de
cette tranche dans la mousse n’est pas arbitraire. La mousse représente la
succession des tranches dont chacune a une durée définie (le temps de
Planck : 10-43 s). On saute d’un réseau au suivant, on
ne passe pas de l’un à l’autre de façon continue. Plus précisément, un quantum de temps s’écoule en chaque
point de la mousse où un saut quantique est effectué. L’état final d’un réseau dépend de son histoire. La
mousse de spin est l’historique des états par lesquels il est passé. L’espace-temps,
à un moment donné, est donc l’ensemble des mousses de spin possibles affectées
d’une probabilité
3. Validité de la théorie.
Déjà, par rapport à la théorie
des cordes : elle n’a pas besoin de plus des 4 dimensions ordinaires (3
d’espace + 1 de temps) et elle n’a pas besoin de la supersymétrie pour être
cohérente.
Toutefois, l’échelle à laquelle
travaille cette théorie, rend impossible sa vérification directe. Il faut
d’autres arguments.
L’un d’eux est sa cohérence avec
la théorie de la relativité générale. On doit, dans les équations, retrouver
l’espace-temps de la relativité générale comme une approximation de la
théorie quantique de cet espace. C’est encore à démontrer.
Un autre serait son efficacité.
Elle semble se manifester au niveau de la thermodynamique des trous noirs.
4. Du big-bang au big-bounce
Du point de vue cosmologique, la singularité à laquelle conduit
le modèle standard du big-bang est, comme pour la théorie des cordes, exclue.
Pour la théorie des cordes, c’était la température qui ne pouvait
excéder un certain niveau. Pour la théorie le la gravitation quantique à boucles, c’est la densité
qui ne peut plus croître au-delà de la densité de Planck ou, ce qui revient au même, l'espace qui ne peut diminuer en dessous du volume de Planck. Comme si une force
répulsive, d’origine quantique, empêchait l’univers de se réduire à un point.
Cette densité de Planck atteinte, l’univers « rebondit » violemment
et entame une phase d’expansion.. Un univers similaire au nôtre se serait
contracté puis brusquement dilaté. Le big-bang consisterait en ce rebondissement
de l’univers (Big-bounce).
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