mercredi 1 février 2023

Chapitre 14. L'astrophysique : 2. Thermodynamique des trous noirs




Le trou noir, on l’a dit, est le plus simple des objets de la nature, défini par sa masse, sa charge électrique et son moment cinétique. Il semblerait qu’il faille lui ajouter toutefois une quatrième caractéristique : son entropie.

On a là une nouvelle approche du phénomène trou noir. Thermodynamique, d’abord, quantique ensuite.

1. La thermodynamique et l’entropie.


La thermodynamique, née au XIXème siècle, permet de décrire des systèmes macroscopiques sans qu’on ait besoin de connaître leurs aspects microscopiques. Elle repose sur un principe essentiel, une fonction des variables d’état (nombre de molécules, état interne du système, volume, etc) appelée entropie qui permet (c’est l’interprétation de Boltzmann) la mesure du désordre de ce système et donc de définir le sens de son évolution.
Si on connaît l’entropie d’un système, on connaît du même coup toutes ses propriétés macroscopiques.
Qu’est-ce que cet ordre et ce désordre ?  Prenons le « miracle de Jeans » : il y a une probabilité non nulle pour qu’un verre d’eau gèle dans un four à 1000°. Il suffit pour cela que toutes les particules lentes se regroupent dans le verre tandis que toutes les particules animées d’un mouvement rapide se regroupent autour du verre. L’ordre est maximum, mais il n’y a qu’une seule distribution des particules qui le permette . Résultat : entropie (désordre) nulle. En revanche, il y a une multitude d’arrangements de ces particules qui permet que l’eau dans le verre et le four autour de lui soient à la même température. Résultat entropie (désordre) maximale.
L’entropie d’un système est une fonction croissante de l’énergie et un système (fermé) évolue toujours vers un état qui maximise son entropie.


2. L’aire du trou noir et l’entropie

On sait qu’un trou noir est défini par sa masse, sa charge électrique et son moment cinétique de sorte qu’il y a une forte ressemblance avec un système thermodynamique (par exemple une bouteille de gaz définie par son volume, sa pression, sa température). Mais où est l’entropie ?
On a fait l’hypothèse (Bekenstein et Hawking) qu’un trou noir augmente de taille (plus exactement de rayon, donc d’aire c’est-à-dire de surface d’horizon) avec le temps (du fait de ce qu’il absorbe). Mieux, la surface d’un trou noir résultant de la fusion de deux trous noirs doit être supérieure à la somme de leurs surfaces respectives. Or, le second principe de la thermodynamique porte que l’entropie d’un système (fermé) ne peut que croître, en tous cas, ne peut décroître. De là l’idée de lier l’entropie à l’aire du trou noir de façon proportionnelle. La surface d’un trou noir mesure son entropie. Imaginons qu’on précipite dans un trou noir un volume de gaz fermé, le four de Jeans, si l'on veut (entropie maximum). On sait que le trou noir fait perdre à cet objet toutes ses caractéristiques hormis les trois qui le caractérisent, lui. L’entropie de cet objet serait perdue dans l’univers (qui est un système fermé puisqu’il contient tout) et le second principe serait violé : le système univers remonterait l’entropie !.Pour éviter cette violation et généraliser le second principe, il faut admettre que l’entropie du trou noir (donc sa surface) va croître et compenser la perte d’entropie de l’univers. Mieux, l’entropie du trou noir augmente d’une valeur plus grande que celle de l’entropie absorbée (d’où que la fusion de deux trous noirs aboutit à une aire plus grande que la somme des deux aires).



3. « Adaptation » au trou noir.

On peut alors généraliser au trou noir les autres lois de la thermodynamique :

a. Loi zéro : « La température d’un corps à l’équilibre thermodynamique est constante » devient : la gravité de surface de l’horizon d’un trou noir est constante. Pour le trou noir, la gravité de surface est analogue à une température.

b. Le premier principe :« La conservation de l’énergie, c’est-à-dire de l’équivalence travail-chaleur » devient : l’aire d’un trou noir est modifiée par un changement de sa masse ou de sa charge électrique ou de son moment angulaire.

c. Le second principe : « L’entropie ne peut qu’augmenter » (dans le four de Jeans à 1000°, si l’on place un verre d’eau glacée, la température du four va diminuer, celle de l’eau augmenter et un retour à l’état initial ne se produira jamais, la probabilité mathématique non nulle de réapparition du phénomène n’a pas de réalité physique). Cela devient : l’aire d’un trou noir (donc son entropie) ne peut qu’augmenter du fait de l’entropie qu’il détruit en absorbant des objets.

d. Conséquence : « Il est impossible d’amener un système à une température strictement nulle », devient : il est impossible qu’un trou noir ait, en surface, une gravité strictement nulle.

4. L’approche quantique.


C’est à ce stade que l’approche quantique vient compléter l’approche thermodynamique. Le trou noir n’est pas isolé. Il prend place dans le vide des fluctuations quantiques.

On sait que le vide quantique n’est pas « vide » mais pourvu d’une énergie (fondamentale), lieu de fluctuations, peuplé de paires de particules virtuelles qui naissent et disparaissent en un instant. Lorsqu’on est loin du trou noir, les particules virtuelles apparaissent et disparaissent « normalement». Mais, à l’approche du trou noir, un effet de marée (qui fait éclater par étirement le composé formé par les deux particules) fait que l’une des deux particules échappe à l’attraction du trou tandis que l’autre y est précipitée, cela , bien sûr, avant que soit passé le temps de leur annihilation. La particule qui s’est échappée ne peut s’annihiler instantanément en l’absence de son antiparticule. Elle le fera en rencontrant, plus tard, une autre antiparticule et, de cette annihilation, naîtra un photon. Il n’est pas exact de dire qu’un trou noir ne laisse pas la lumière s'échapper !




 

Est-ce à dire qu’il y a création d’énergie ? Non, car il faut admettre que la particule échappée a emprunté au trou noir une fraction de son énergie gravitationnelle. Du coup, celui-ci a perdu une fraction de sa masse. Il y a eu évaporation (rayonnement de Hawking). L’observateur extérieur constatera l’émission de flots de particules à partir du trou noir. Notons que cette évaporation ne pourrait être sensible que pour des micro trous noirs (les trous noirs primordiaux non encore aujourd’hui observés).

Note : la particule qui tombe dans le trou a une énergie négative, celle qui en ressort (et qui devient ainsi réelle) une énergie positive (elles sont antiparticules l’une de l’autre). S’il advient que la particule positive tombe dans le trou, l’autre fera de même, notre univers n’admettant comme réelles que des particules à énergie positive. 
Cela veut dire qu’il y a une température du trou noir, puisque l’émission de photons correspond à un rayonnement électromagnétique. Le trou noir a un rayonnement de corps noir (voir chapitre 1). C'est un phénomène de rayonnement, donc d'évaporation (Stephen Hawking). Et la température est inversement proportionnelle à la taille du trou noir parce que le champ gravitationnel d’un trou noir est d’autant plus grand que sa masse est petite. Plus un trou noir est petit en masse (et sa masse diminue à chaque absorption d'une particule d'énergie négative, donc à mesure qu'il rayonne), plus son champ gravitationnel est intense et plus sa température est élevée. Plus il rayonne, plus (à la différence de tout autre objet qui dans ce cas refroidit) il s'échauffe puisque plus sa masse (donc sa taille) diminue.

Paradoxalement, le trou noir ne se refroidit pas en rayonnant de l’énergie. C’est que sa masse diminue du fait du rayonnement. Dès lors sa température augmente.

Toutefois, pour qu’un trou noir puisse s’évaporer, il faut que la température ambiante soit inférieure à celle qui émane du trou noir. Or, cette dernière est très inférieure au 2,7k du rayonnement fossile qui est la température de l’univers à ce jour, dans lequel "baigne" le trou noir. Il faudra attendre que l’expansion refroidisse encore considérablement l’univers pour que cette évaporation puisse avoir lieu.

Seuls les trous noirs primordiaux, de très petite masse (donc de température élevée) formés lors de la grande inflation (mais encore jamais détectés) pourraient prétendre à une évaporation.

5. La question de l’information.


Vu sous l’angle de la relativité générale, l’information disparaît dans le trou noir. On a vu que l’objet qui y tombe se trouve réduit à trois caractères seulement : masse, charge électrique, moment cinétique. Or, la mécanique quantique, de son côté, considère que tout état physique est gouverné par une fonction d’onde dont l’évolution est formalisée par l’équation de Schrödinger qui est réversible dans le temps et qui implique donc que l’information doit toujours être préservée, et ceci quelle que soit la cause des transformations du système. Quel que soit l’état final d’un système, on doit toujours pouvoir retrouver son état initial. La mécanique quantique, ne peut accepter la moindre perte d’information.

On dira que l’évaporation est une restitution par le rayonnement, de cette information perdue. On le dira à tort, parce que rayonnement d’un corps noir est tout ce qu’il y a de plus désordonné. C’est d’ailleurs ce qui résout une autre difficulté : si un trou noir rayonne, il perd de l’énergie et sa surface diminue. Or, la surface d’un trou noir mesure son entropie. Le rayonnement du trou noir ferait donc baisser l’entropie ? En aucun cas, parce que l’entropie de radiation compense cette baisse. Elle la compense même plusieurs fois.

Alors, où passe cette information ?

Selon Stephen Hawking, (mais son hypothèse n’est qu’une parmi beaucoup d’autres) l’information relative à la matière engloutie ne serait pas perdue, comme il l’avait pensé dans un premier temps, mais conservée encodée à la surface du trou noir, préservée sous forme d’un hologramme c’est-à-dire d’une représentation bidimentionnelle de l’objet tridimensionnel qui, lui, serait tombé dans le trou (un hologramme en 2 D contient toute l’information nécessaire pour reconstruire une image en 3 D).

Une autre solution, suggérée par la théorie de la gravité quantique à boucles, pourrait être apportée par le modèle des trous noirs rebondissants qui, considérant le trou noir comme une simple phase de transition vers un autre état, connecterait le trou noir à un trou blanc par lequel toute l’information piégée dans le premier ressortirait. Ce modèle est proposé par Carlo Rovelli, Hal Haggard et Aurélien Barrau. Évidemment impossible à observer au niveau macroscopique où le temps de ce rebond serait considérable, de l’ordre de plusieurs milliards de fois l’âge de l’univers (alors qu’il ne durerait dans le temps propre du trou noir qu’une fraction de seconde). L’espoir est de découvrir de petits trous noirs pour lesquels le temps (observé) de rebond serait suffisamment bref.

Comme pour la théorie du big-bang, l’idée d’une singularité est ici évacuée. Une densité ne devient jamais infinie (voir chapitre 11) et se trouve limitée à la densité de Planck. Il y a, selon la théorie de la gravité quantique à boucles, un quantum d’espace (de longueur, de surface, de volume) donc un espace (un volume) minimum non ponctuel. Autrement dit, à partir d’un certain niveau d’effondrement de l’étoile a lieu un rebond qui restitue et la matière et l’information qui lui est liée.


 

On voit que le trou noir est un objet à propos duquel les enjeux dépassent les frontières de l’astrophysique et rejoignent celles de la cosmologie où la question demeure posée de la conciliation entre la théorie de la relativité générale qui gère la gravitation à grande échelle et les théories quantiques à la recherche d’une solution quantique pour ladite gravitation.




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