mercredi 1 février 2023

Chapitre 3. La mécanique quantique : 3. La théorie des champs


On a vu deux choses assez surprenantes que la notion de champ va peut-être éclairer : il n’y a ni onde ni particule, d’abord et ensuite, la masse n’est pas une caractéristique intrinsèque des particules (voir Chapitre 10 La Relativité générale).

a. Rappel sur la notion de champ.

C’est Maxwell qui introduit en physique la notion de champ. Chaque point d’un champ est un potentiel de force indépendant du corps qui peut s’y trouver.
Si cette force est liée à la Terre, par exemple, on a le champ gravitationnel. Un champ électrique, autour d’une charge. Un champ magnétique autour d’un courant électrique.
Hors des champs il n’y a pas de force.
Ces champs sont à l’origine des ondes et ils évoluent dans le temps.

On peut distinguer deux types de champs : le champ scalaire qui n’est pas orienté et qui ne prend en compte que la position dans l’espace (par exemple un champ de températures) et le champ vectoriel qui prend en compte la direction (par exemple un champ magnétique, la carte des vents, etc.), le sens et la norme (valeur).

 
La théorie de l’éther (selon laquelle astres et planètes baigneraient non dans le vide mais dans un éther) avait été bâtie pour rendre compte de la propagation des ondes lumineuses que le vide ne saurait permettre.
Einstein, en refusant l’éther, constitue l’onde en objet physique indépendant de tout support qui pourrait la porter. et invente le champ.
Le vide n’est pas vide. Otons toutes particules, il reste le champ, c’est-à-dire l’énergie.

b. Sens de la notion de champ.

L’interaction entre les corps ne tient pas aux corps, mais au champ dans lequel ils trouvent place. Les corps n’agissent plus à distance comme dans la physique newtonienne. Le champ est là d’abord pour remplacer l’idée d’une action à distance.
Le soleil, ainsi, n'attire pas la Terre ni la Terre la lune. Mais chacun de ces objets a une masse et cette masse déforme les propriétés locales de l'espace temps, créant en chaque point de cet espace un champ gravitationnel tout à fait indépendant des corps massifs qui vont y entrer. Les masses situées dans ce champ (par exemple la Terre dans le champ gravitationnel du soleil) subissent alors une force, qui affecte leur comportement. Le soleil n'agit pas directement sur la Terre, il crée un champ de forces, un champ gravitationnel qui est une propriété de l'espace (et non des corps). Chaque corps, selon sa position dans ce champ, sera doté d'un potentiel gravitationnel qui mesure la force qui faudrait lui appliquer pour le soustraire à l'influence du champ.
L'incompréhensible action à distance de la théorie newtonienne de l'attraction n'a plus lieu d'être. La Terre ne tourne pas autour du soleil parce qu'elle serait attirée par lui, mais parce que sa vitesse de déplacement ne lui permet pas d'échapper à la déformation de l'espace-temps générée par la présence de la masse solaire, d'échapper au champ gravitationnel instauré par la masse du soleil.
On dira : mais la masse exerce bien une action à distance sur l'espace en créant ce champ gravitationnel. Soit, mais cela n'a rien à voir avec une action à distance sur un corps. Et la création d'un champ gravitationnel n'est pas une action.

c. La théorie quantique des champs

c1. Une particule chargée est une région d’un champ électromagnétique à l’intérieur duquel la force est tellement élevée que l’énergie se concentre en un point de l’espace : la particule. C’est un champ électrique qui maintient les particules chargées (électrons, protons) entre elles dans l’atome. La lumière, encore, est un champ. Une particule est un état excité d’un champ.
On comprend mieux qu’elle n’ait pas de masse a priori. On comprend mieux qu’une particule ne soit ni une onde ni un corpuscule. C’est seulement un état excité d’un champ.
L’action à distance disparaît du même coup. Soit une région du champ excitée (donnons-lui la forme d’un domino debout), elle agit sur son environnement immédiat (le domino tombe sur le domino voisin) et ainsi, de proche en proche (de domino en domino) comme une onde. Chaque domino n’agissant pourtant que sur son voisin. Ainsi des interactions à courte portée peuvent engendrer un ordre à distance.

Précisons encore. On a comparé un atome à une oscillateur (lorsqu’on s’intéressait au corps noir). L’énergie de cet oscillateur correspond au niveau d’énergie des atomes (Bohr). Soit une boite comportant 5 photons de même fréquence, le mode d’oscillation du champ électromagnétique dont la fréquence est égale à celle des photons, ce mode se trouve excité dans le niveau n = 5 (voir modèle de l’atome de Bohr).
 

Ainsi, le nombre des particules est fonction de l’excitation du champ. Plus il est excité plus il y a de particules.
Aussi, à chaque type de particule son champ (ou plutôt inversement).
A l’absence de particule (le vide) correspond la somme de tous les champs dans leur état fondamental.

Soit, par exemple, la réaction d’annihilation : e+  e- -> 2gamma (électron – positon -> 2 photons)
On a ici 3 champs quantifiés :
-      Celui qui décrit les électrons : l’électron a une énergie donnée (E). La fréquence du mode d’oscillation est : v = E / h.
-         Celui qui décrit les positons 
-         Celui qui décrit les photons.
Avant l’annihilation :
Le mode d’oscillation du champ des électrons et des positons est excité dans le niveau 1 à il y a 1 électron et 1 positon
le mode d’oscillation du champ des photons est dans l’état fondamental à il y a 0 photon

Au moment de l’annihilation :
Le champ des électrons et celui des positons passe à l’état fondamental : à 0 électron et 0 positon.
Le champ des photons est excité dans le niveau 2 à il y a deux photons (2gamma).

On voit ici comment c’est le champ à ses différents niveaux d’excitation qui engendre les particules.

c2. Il existe un champ pour chaque type de particule élémentaire (électron, quark, etc) et pour chaque boson.
Tous ces champs peuvent interagir. Quand ils n’interagissent pas, ce sont des champs libres.
Par exemple, lorsque le champ de Higgs apparaît après la grande inflation, les champs de certaines particules interagissent avec lui avec pour conséquence que ces particules acquièrent une masse (qu’elles perdraient si elles cessaient d’interagir avec lui). Autrement dit, par exemple, lorsque le champ libre dont l’excitation engendre le boson intermédiaire w+, par exemple, entre en interaction avec le champ de Higgs, la propagation de l’excitation considérée se trouve ralentie. On dit que le boson w+ acquiert de l’inertie donc de la masse.
La masse d'une particule est la mesure de son inertie. Le champ de Higgs emplit le vide quantique. Disons-le aligné selon une direction particulière. Les particules qui se déplaceront "parallèlement" à cette direction ( comme le photon, par exemple) n'interagiront pas avec le champ et continueront, dépourvues de masse, à se déplacer à la vitesse de la lumière. En revanche, les particules se déplaçant "perpendiculairement" à cette direction (comme les bosons z et w) seront freinées et, de ce fait, acquerront une masse.

Remarque. On dispose de deux formules pour exprimer la masse. P = m.g, la masse grave, ce par quoi un corps subit la force de gravitation et F = m.a, la masse inertielle qui mesure la résistance à la modification du mouvement d’un corps (c’est celle qui est concernée dans le mécanisme de Higgs). Newton remarquera que ces deux masses sont égales, Einstein (voir plus loin), qu’elles sont identiques.

c3. Le vide
On l’a dit plus haut : « il n’y a pas de vide ». Au sens où on l’entend ordinairement.
En réalité, selon la mécanique quantique il y a deux sortes de vides : l’un vrai et l’autre faux.

Le vrai vide (ou vide quantique) est un champ. Le vide est l’état fondamental de l’ensemble des oscillateurs : le degré zéro de l’énergie (mais certainement pas une énergie = 0). C’est ce qu’illustre l’effet Casimir. Soient 2 plaques de métal parallèles (conductrices mais non chargées) dans le vide : elles s’attirent (on va voir qu’en réalité, elles sont poussées l’une vers l’autre). Des oscillations du champ magnétique se forment entre elles. Aucun photon entre elles --> les modes d’oscillation du champ électromagnétique sont donc dans l’état fondamental.

 
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On voit dans ce schéma 2 longueurs d’onde : l’une D et l’autre > D, correspondant à des fluctuations du vide. On constate que toutes les longueurs d’onde extérieures à la cavité n’ont pas accès à l’intérieur. Dans la cavité, les fluctuations sont limitées. Du coup, la pression exercée par le vide « extérieur » est plus grande et les parois se rapprochent.
Ainsi, loin d’être vide, le vide quantique (état de plus basse énergie des champs) est empli de particules virtuelles qui n’ont pas assez d’énergie pour être réelles (= le vide est un ensemble de champs insuffisamment excités pour engendrer des particules) mais qui, lorsqu’un apport d’énergie se produit dû à une collision ou toute autre forme d’interaction, deviennent réelles un bref instant (inférieur ou égal à la constante de Planck) , le temps d’une interaction.


Il semble qu’on puisse observer certaines propriétés de ce vide. Par exemple la biréfringence. L’électrodynamique quantique (QED) prédit qu’en présence d’un puissant champ électromagnétique, le vide se comporte comme un cristal de spath  (de calcite) c’est-à-dire qu’il devient capable d’une double réfraction de la lumière (biréfringence). Les ondes lumineuses dont les composantes sont alignées sur celles du champ magnétique extérieur, interagissent davantage avec les particules virtuelles que les autres. Elles se propagent, du coup, plus lentement alors que les autres vont plus vite (d’où l’analogie avec le phénomène optique de la double réfraction)., La lumière se propage à deux vitesses différentes. De là un effet de polarisation de la lumière.
Toutefois, pour qu’une telle observation soit possible, il faut disposer d’un champ magnétique très intense. On a pu observer récemment au moyen du VLT (Very Large Telescope) installé au Chili, une étoile à neutrons (donc en phase pré-trou noir, pour le dire sommairement) RXJ1856.3754, dont le champ magnétique a atteint une intensité des milliards de fois supérieure à celle du soleil et qui émet une lumière polarisée linéairement à environ 16% (alors qu’on pouvait s’attendre à une dispersion des rayons). Ce phénomène serait à mettre sur le compte de la biréfringence du vide quantique.

Le faux vide (ou vacuum-like) correspond à une portion de l’espace où le champ de Higgs est nul. Il est donc antérieur au refroidissement qui a suivi la grande inflation de l’Univers à la suite du big-bang. Il a duré un court moment et a été caractérisé par un état de très haute énergie ainsi qu’un champ gravitationnel répulsif.
Pour le comprendre, comparons avec ce qui se passe dans le cas de la surfusion qui fait qu’il peut arriver à une eau très pure de passer en-dessous de 0° C sans geler. La moindre agitation du liquide a ensuite pour conséquence son gel immédiat.
L’univers concentré quasi en un point au moment du big-bang connaît à 10-35 s de son existence une inflation formidable puisque, en 10-32 s, il se dilate de l’ordre de 10100.(Voir plus loin). Ce faisant, il se refroidit. Ce refroidissement devrait conduire à une séparation des forces d’interaction (voir plus loin), pourtant, comme pour la surfusion, un bref instant la transition de phase est retardée. Résultat : l’inflation devient exponentielle. La pression (qui est une force répulsive, c’est-à-dire un champ répulsif) devient supérieure à la température de l’Univers et le fait gonfler de façon considérable. Lorsque cette énergie répulsive est complètement relâchée, l’expansion s’arrête et les forces forte et électrofaible se séparent. Le champ de Higgs prend des valeurs non nulles, des particules peuvent acquérir une masse et le vide quantique s’installe partout.



Ainsi, à une vision corpusculaire de la matière élémentaire, il faut substituer une autre vision. Une particule n’est pas un corpuscule. Elle n’a pas de masse intrinsèquement, pas davantage de position définie.
La notion de champ permet sans doute de mieux approcher ce dont il s’agit : une particule est un état temporairement excité d’un point d’un champ.

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La notion de champ a des antécédents jusque dans la métaphysique. Prenez Spinoza, au XVIIème siècle. Selon lui, tout ce qui est relève d'une seule et même substance qu'il nomme Dieu. Celle-ci ne se donne à voir que sous deux attributs (deux formes) : la Pensée et l'Etendue (c'est à dire l'espace). C'est ici que quelque chose comme la notion de champ fait son apparition. L'Etendue connaît des modifications : chaque corps, chaque objet matériel est un mode de l'Etendue. Cette pierre, ce corps animal ou humain sont des modes (des manières d'être) de l'Etendue, à un moment donné. Comme des points excités d'un champ.

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