mercredi 1 février 2023

Chapitre 7. La cosmologie – 4. Matière noire


1. L’hypothèse de la matière noire.

Les équations de la relativité générale décrivent très bien le mouvement propre et relatif des galaxies … à condition qu’on leur attribue une masse 10 fois plus importante que celle qu’on peut mesurer ! Les galaxies spirales, par exemple, (mais c'est vrai aussi des galaxies elliptiques et encore des amas de galaxies) tournent trop vite autour de leur centre. A ces vitesses, elles auraient dû échapper (force centrifuge) à l’attraction de leurs congénères. Plus exactement, les étoiles les plus lointaines du centre tournent à la même vitesse que les plus proches (ce qui contredit les lois de la gravitation d’Einstein ou de Newton selon lesquelles, l’attraction diminuant avec la distance, les objets les plus éloignées tournent plus lentement que les plus proches) Il faut supposer une masse que nous n’observons pas pour compenser cet effet de répulsion. Un halo de matière invisible représentant 90% de la masse totale de la galaxie entoure la galaxie. De la sorte, toutes les étoiles qui composent celle-ci se trouvent au centre et tournent tout à fait normalement.


La Voie Lactée entourée d’un halo sphérique de matière noire. A gauche un volume contenant 400
                                                    étoiles qui devraient être arrachées.

 
D’où l’hypothèse d’une matière qui ne peut ni émettre ni absorber ni refléter de la lumière, une matière transparente très difficile à détecter. Cette matière noire devrait constituer 24% de l’univers. Et la matière que nous connaissons, 4,6%. (4% gaz et planètes, environ 1% étoiles, planètes, etc.) Elle devrait être composée de particules élémentaires différentes de celles qui composent la matière standard (protons, neutrons, électrons). Ces particules n’auraient donc pas de charge électrique. Les effets de cette matière sont principalement gravitationnels. Une petite partie serait composée de neutrinos.
Dans les hypothèses cosmologiques, la matière noire se regroupe à certains endroits et la matière standard s’accumule ensuite autour de ces puits gravitationnels qui maintiennent la cohérence des galaxies.

2. Les raisons de l’hypothèse.

a. La première, on l’a vu concerne les courbes de rotation galactiques : la vitesse de rotation des étoiles autour du centre de leur galaxie est à peu près constante en dépit de leur différence d’éloignement par rapport au centre. Alors que plus une planète de notre système est loin du soleil, moins elle tourne vite autour de lui, les étoiles de la périphérie d'une galaxie tournent à la même vitesse que celles situées près du centre. Il faut donc une masse d’attraction gravitationnelle supérieure à celle qu’on mesure au centre de la galaxie pour expliquer que la force centrifuge qui concerne les étoiles les plus éloignées et qui doivent tourner à une vitesse considérable ne les propulse pas au loin. Un halo de matière noire fournit donc la quantité de masse nécessaire pour garder les étoiles lointaines accrochées à la galaxie.

b. Deux galaxies qui entrent en collision se traversent sans histoire. Le gaz qui les entoure (hydrogène, hélium, etc.) entre en friction et émet une radiation x qui est donc décelable. Mais, quand on observe une galaxie derrière le lieu de la collision, la lumière qui nous arrive est courbée par un effet de lentille gravitationnelle, preuve de l’existence d’une masse située entre la galaxie et nous qui l’observons, masse de matière noire qui a suivi les galaxies en collision. Comme elle n’est pas visible, elle n’émet pas de lumière. Elle est électriquement neutre.

c. Des simulations réalisées sur l’évolution de l’univers à partir de la matière noire comme ingrédient fondamental (voir : (https://youtu.be/2qeT4DkEX-w) sont impossibles à distinguer des observations que nous faisons effectivement de l’univers. Toutes les grandes structures que nous connaissons (étoiles, galaxies) découlent, dans ces simulations, de l’existence de cette matière noire.

d. Cette matière noire est faite de particules lourdes qui doivent être là dès l’origine et qui sont stables. La matière noire est créée au moment du big-bang. Les particules de matière noire qui se déplacent lentement, se rassemblent lentement sous l’effet de la force gravitationnelle sous forme de longs filaments qui se croisent et qui servent d’échafaudages ou de squelette à la matière ordinaire qui vient s’agréger pour former étoiles et galaxies. La matière noire est responsable de la structuration de l’univers.

 Cartes en 3D de la matière noire. En cartographiant les déviations des rayons lumineux dus au passage à proximité de matières noires, on constate qu’elle agit, par rapport aux galaxies, comme un squelette ou un échafaudage.

3. Les propriétés de la matière noire.

Elle n’émet pas de lumière. Elle est donc électriquement neutre et ne consiste ni en électrons, ni en quark, ni en protons.
Elle devrait être constituée de particules lourdes (probablement de 10 à 1000 GeV (Giga électron Volt), soit 10 à 1000 fois plus lourde qu’un proton) et ne consiste donc pas en neutrinos. Du moins est-ce l’hypothèse des wimp (comme le neutralino de l'hypothèse supersymétrique). Selon une autre hypothèse, au contraire, un neutrino particulier, le neutrino "stérile", qui, à la différence des neutrinos « habituels » ne serait pas sensible à l’interaction faible, mais sensible à l’interaction gravitationnelle, serait un candidat sérieux pour la matière noire. Les neutrinos, d'ailleurs, d'une façon générale, sont insensibles à l'interaction électromagnétique, donc invisibles.
On a encore pensé que les particules de matière noire pourraient être l'antimatière manquante des origines. On sait (Dirac) que la production d'une particule de matière (un électron, par exemple) s'accompagne de la production d'une anti particule. Lorsque ces deux éléments viennent à se rencontrer, ils s'annihilent. Ce qui s'est produit aux origines, mais avec un large bénéfice pour la matière. Où est passée l'antimatière correspondant à ce reste de matière ?


Une autre hypothèse voudrait qu’elle soit constituée d’axions, particules très légères (comprise, selon les calculs effectués en 2016 à l’université de Wuppertal en Allemagne, entre 50 et 1500 meV). Ce sont ces axions qu’on espère avoir détecté en 2017 avec les sursauts radio rapides (qui sont des flash d’ondes radio de quelques millisecondes). L’hypothèse veut que ces axions se réunissent sous forme d’objets très denses : les étoiles axioniques.
On avait d’abord tenté de mettre en évidence l’existence de cette particule au moyen de l’effet Primakoff. Selon cet effet, quand un champ électromagnétique est suffisamment fort, des photons de haute énergie peuvent se changer en axions et réciproquement. La détection au moyen des sursauts radio rapides obéit à la même idée. Les étoiles axioniques pourraient, plongées dans un champ magnétique, se transformer en rayonnement électromagnétique (photons). Lorsqu’une étoile axionique entre en collision avec le disque d’accrétion d’un trou noir où règnent de puissants champs magnétiques, elles disparaissent en se convertissant en bouffées de photons : sursauts radio rapides (en quelques millisecondes, autant d’énergie dégagée qu’en 24 heures pour le soleil !).
Remarque (précision). Le modèle standard de la mécanique quantique attribue aux particules un spin, un moment cinétique (disons pour faire simple, donc très approximatif, elles se comportent comme des toupies dont l’axe de rotation est parallèle au vecteur vitesse.




Selon que la rotation s’effectue dans un sens ou dans l’autre, on parle d’hélicité gauche ou d’hélicité droite. (Ci-dessus ou v et p sont respectivement les vecteurs vitesse et quantité de mouvement et s le vecteur de moment cinétique représentant le spin, ce dernier est antiparallèle aux deux premiers, l’hélicité est gauche. Droite ci-dessous).
 


Les neutrinos du modèle standard sont gauches et les anti-neutrinos sont droits. Tous les autres leptons (électrons, muons, tau) peuvent aussi bien être gauche que droit. Mais on n’a jamais observé de neutrinos droits. De fait, le modèle interdit deux choses : l’attribution d’une masse aux neutrinos gauches (or, voir plus haut, le fait qu’ils puissent osciller, c’est-à-dire se transformer les uns dans les autres, implique qu’ils aient une masse) et l’existence de neutrinos droits (or, il faut pour expliquer la masse des neutrinos gauches supposer l’existence des neutrinos droits).

La détection directe de ces particules (wimp ou neutrino stérile) est extrêmement difficile (puisqu’elles n’interagissent quasiment pas avec la matière « ordinaire ») et pour le moment sans résultat. La détection indirecte (l’annihilation ou la désintégration de particules de matière noire devrait injecter de l’énergie dans le milieu et ioniser les atomes voisins) n’est pour le moment pas plus concluante. De nombreux programmes de recherche sont affectés à l’étude de ces particules dont l’importance est considérable puisque l’univers devrait contenir 6 fois plus de matière noire (24%) que de matière ordinaire (4%).

On distingue trois hypothèses relatives à la matière noire : une matière noire froide constituée de particules se déplaçant lentement, responsable de la constitution du squelette de l’univers (voir plus haut). De petits objets s’effondrent sur eux-mêmes sous l’effet de la gravitation, fusionnent et donnent des objets plus massifs. Les particules candidates pourraient être les wimp. Et une matière noire chaude constituée de particules se déplaçant à une vitesse proche de celle de la lumière : peut-être les neutrinos.. Enfin une matière noire tiède qui pourrait être constituée par les neutrinos stériles.

 4. Et si la matière noire ne résultait que de la mauvaise position du problème ?

C'est ce que pose la théorie MOND (MOdified Newtonian Dynamics). Si les étoiles, les galaxies, les amas galactiques désobéissent aux lois de la gravitation, c'est peut être parce que ces lois ne sont pas correctes lorsqu'on arrive à ces échelles ?
Dans la théorie de Newton, l'accélération imprimée à une masse m par la présence d'une masse M située à une distance r est donnée par la formule :

                                                          a =  GM / r²

(où G est la constante de gravitation de Newton).
Milgrom, le père de la théorie MOND, introduit deux choses : une nouvelle constante universelle a0 (10^-8 cm/s²) et un facteur Mu(a/a0), tel que :

                                                      Mua = GM / r²

Il ressort de cela que, proche de M, l'accélération (a) de m va être grande devant a0, de sorte que Mu se rapproche de 1 et dans ce cas, Mua = a : tout se passe conformément à la théorie newtonienne. Mais, plus m s'éloigne de M, plus a devient faible devant a0 (toujours conformément à la physique newtonienne), de sorte que Mu diminue et que l'accélération de m est donnée par :

                                                   a =  Racine(GMa0)/r

La loi de Newton, à grande distance, passé un seuil, ne fonctionne plus (la gravitation diminue moins rapidement, comme l'inverse de la distance et non plus comme le carré de l'inverse de la distance)! Il n'y a donc pas besoin de l'hypothèse de la matière noire.

Le débat n'est pas tranché à ce jour et il semble que l'hypothèse matière noire tienne toujours la corde.

On a pourtant découvert, depuis quelques années, des galaxies ultra-diffuses (UDG) qui ne semblent pas contenir de matière noire. Par exemple NGC 1052-DF2, dans la constellation de la Baleine. Dans cette galaxie, la masse de la matière baryonique (donc non noire) mesurée à partir des mouvements orbitaux de 10 amas globulaires gravitant autour de la galaxie, suffit à rendre compte du comportement de ces amas. Pas besoin de rajouter de matière noire. On a là un problème posé à la théorie de la relativité.


4. La détection de la matière noire.


On a parlé plus haut de la détection directe. En quoi consiste-t-elle ? On place un détecteur sous une montagne pour éliminer le bruit de fond cosmologique au maximum. On filtre ce qui subsiste et on observe les signaux résultant du passage d’une particule de matière noire (on pense : en moyenne 2 particules tous les 5 ans). Les expériences restent très incertaines à ce jour.

Détection indirecte. Dans le halo de particules de matière noire  qui baigne une galaxie, des chocs peuvent se produire. Deux particules de matière noire peuvent s’annihiler en donnant naissance à une particule de matière standard (proton, électron, etc) très difficile à détecter. Là encore les expériences demeurent très incertaines. Ou alors, la production en collisionneur avec le problème que la matière noire n’interagissant pas avec le détecteur, comment faire pour la repérer ? Justement en cherchant l’énergie manquante. Pour le moment on n’a pas détecté d’énergie manquante

On a détecté, ( et pour la première fois  "pesé") début 2016 (avec le Gran Telecscopio Canarias) dans l'amas de la Vierge, une galaxie ultra diffuse (VCC 1287) de 80 milliards de masses solaires constituée d'à peu près autant d'étoiles qu'une galaxie naine mais de dimension comparable à celle de la Voie Lactée. Pour justifier le fait qu'elle n'ait pas été disloquée par les effets de marée des galaxies voisines et pour rendre compte du mouvement des sept amas globulaires qui gravitent autour d'elle, il faut admettre une masse dont plus de 98%  de matière noire. En un mot, cette galaxie contiendrait 3000 fois plus de matière noire que de matière ordinaire.

On s'efforce aussi, au CERN, non pas de détecter, mais de produire des particules de matière noire lors de collisions de particules. A ce jour sans succès.

5. Des lacunes dans le concept.

Des observations dues à Hubble et à VLT (Very Large Telescope), au Chili, courant 2020,ont montré que des concentrations de matière noire à petite échelle produisaient des effets de lentilles gravitationnelles dix fois supérieurs à ce qu'on imaginait. Il manque donc sans doute à la conception et aux simulations, certains éléments indispensables à la compréhension de la nature de la matière noire ... si elle existe.

Reste 72% de l’univers à « remplir ». C’est là qu’intervient l’énergie noire (ou sombre selon les appellations).

6. Les étoiles noires

Le télescope JWST (James Webb Space Telescope) a capté des signaux qui semblent provenir de galaxies apparues à seulement quelques centaines de millions d'années du Big-bang, vieilles donc de quelque 13 milliards d'années. Si proches de l'origine, ces galaxies devraient être considérablement plus petites que ce qui est donné à l'observation. Certains signaux, en effet, semblent provenir d'objets extrêmement massifs ( des millions à des milliards de masse solaire) dont l'âge devrait être de plusieurs milliards d'années postérieur au Big-bang.
L'hypothèse (toujours non vérifiée, il faut le souligner) est que ces objets seraient des étoiles tout à fait différentes de celles que nous connaissons. Ces dernières sont alimentées par la fusion nucléaire (la densité, la température et la pression sont tellement élevées dans le cœur de l'étoile que les atomes fusionnent et que l'énergie dégagée produit l'éclat que nous connaissons). Les premières, les "étoiles noires" pourraient résulter de l'annihilation des particules de matière noire, annihilation qui apporterait une énergie suffisante pour que des nuages d'hydrogènes s'effondrent et produisent une lumière capable de rivaliser avec celle produite par une galaxie tout entière.
La vérification de cette hypothèse permettrait de vérifier à son tour l'hypothèse de l'existence de cette matière noire qui constituerait 27% de la matière de notre univers.
 

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